LE MOT D'HANNAH ARENDT

 

 

En rapport étroit avec cette situation, il reste le fait que la pensée traite toujours d'objets, dégagés de la perception sensible immédiate. Un objet de pensée est toujours une représentation ; c'est-à-dire quelque chose ou quelqu'un qui est en réalité absent, et présent uniquement à l'esprit, lequel, grâce à l'imagination, peut le présenter sous la forme d'une image. En d'autres termes : quand je pense, je me retire du monde des apparences, même si ma pensée a affaire à de simples objets qui sont donnés aux sens, et non pas à des invisibles, tels que les concepts ou les idées, vieux domaine de la pensée métaphysique. Pour que je pense à quelqu'un, ce quelqu'un ne doit pas être perçu par les sens ; tant que nous sommes avec lui, nous n'y pensons pas – même si nous pouvons réunir des impressions qui serviront par la suite à alimenter la pensée. Penser à quelqu'un en sa présence implique que nous nous éclipsions subrepticement et que nous nous conduisions comme s'il n'était plus là.

 

Hannah Arendt, Considérations morales, Payot & Rivages, 1971, pp. 34-35.